Chroniques (Gareth Bauer, Le Bronx, New York)

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Le vrai
9 Mars 2025
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Chroniques

Prologue

New York, 1er mai 2011
21h45

Bauer range son portable et descend à toute vitesse les escaliers de la station de King’s bridge, lève le pif un instant pour constater les autres ahuris présents à quai, une mère avec ses gosses hyperactifs les gronde en marmonnant du créole louisianais, le “bum” typique toujours au même coin d'escalier fait la manche depuis la guerre de sécession (au moins), puis les cas soc’ du genre de Garry sont assez nombreux aussi, tous attendent la rame de la la ligne 6 qui mène à la ville. Tous pour des raisons différentes, Gareth lui a reçu un sms de la production, le président va s’exprimer dans quelques heures, on sait pas encore pourquoi mais c’est important. Alors qu’il se glisse entre les portes de la rame pour aller aux locaux il s’imagine toutes sortes de théories sur le sujet de la prise de parole, un désastre diplomatique, encore un autre journaliste pris en otage ou bien l'énième échec d’une mission clandestine, se dit le jeune présentateur carrément pessimiste. Il pose son cul sur un siège colle sa joue a la vitre, il voit le reflet de sa gueule en premier plan tandis que la rame avance dans le noir et que son cerveau continue de bouillonner. Ca fait maintenant quelques mois que Gareth Bauer est passé présentateur de la matinale d’info de la NBC “Today”, sa belle gueule l’a bien aidé, après être sorti de son école de journalisme il est directement rentré dans la maison en 2006 grâce à un oncle qui était à Vassar avec Phil Griffin, le directeur de la MSNBC. D’abord assistant de production junior puis 3 ans plus tard producteur senior avant de récemment se faire repérer comme la belle gueule pas trop conne et éloquente, parfait pour remplir le siège de la matinale. Un bruit strident interrompt ses pensées vagabondes et Garry qui végétait contre la vitre se lève en sursaut en se figurant qu’il était arrivé à Rockefeller Center Station, il emporte avec lui sa sacoche d’épaule en skaï toute pourrie et avance d’un pas qu’à moitié éveillé vers la sortie. Le hall d'entrée du Comcast building est anormalement bondé pour un dimanche aussi tard, il grimpe au deuxième pour aller à la salle de news du “Nightly”, quand il y rentre : Une fourmilière, tous les producteurs et journaliste en forme une effervescence générale et se démènent pour grappiller l’info et être les premiers à annoncer la nouvelle. Un stagiaire chope Bauer dans ce cafarnahomme et le traîne dans le bureau de Rebecca Long, la productrice exécutive de Nightly News, a peine un pied posé dans le bureau elle le regarde et dit : « On pense que c’est Ben Laden ».


22h05

Le Bureau de Beck’ est enfumé, les pontes de la chaîne sont tous entassés la clope au bec et il fait bien trop froid sur le balcon pour s’y aventurer, Garry lorgne tous les gaillards un à un et finit par rejoindre Long dans le coin de la pièce : “Où est Tom ?“ dit-il interpellé par son absence. — Tom Harris c’était “l’anchor” de Nightly News et le deuxième présentateur le plus regardé d’amérique, le genre Republicano-Démocrate tu sais pas trop de quel côté il penche, les dents blanchies, la calvitie qui tire vers le Maine et au discours accommodant et sans parti-pris (littéralement). — «Il est pas là, j’ai essayé de l'appeler mille trois cents fois depuis tout à l’heure mais il est injoignable.
- Comment vous allez faire ?
- Aucune idée, il va bien falloir le remplacer s' il sort pas de l'ombre.
- Fout moi-y !
- Toi ?» Rebecca fronce les sourcils un instant puis reprend: Fais un tour sur toi-même.
Bauer s'exécute sans se poser de questions, Rebecca c’était une femme du genre misandre, trash, elle a pas peur de te dire un truc si ça va pas et elle frôle souvent le harcèlement sexuel avec les stagiaires, donc jusque là elle était fidèle à elle-même. « Je vais voir ce que je peux faire.»


23h18

Assis sur le fauteuil en cuir du plateau et le crâne chauffé par les quarante milles lumens des spots K35, Gareth Bauer s'apprête à parler à l'Amérique toute entière, il se frotte les jambes et gigote, emplit d’un cocktail d’adrénaline et de nicotine. En face, Rebecca gesticule de grands signes, Garry comprend qu’il doit enfiler son oreillette et s'exécute, « Deux minutes ! » Le présentateur reste muet et hoche simplement la tête, pétrifié. Il se lève alors et disparaît aux toilettes et s'enfile une dose de courage en poudre, lève la tête et se regarde un instant dans le reflet du mur-miroir avant de retourner a poste. Dans l’oreillette : « trente cinq secondes ! » Bauer tapote sa fiche nerveusement, il jette un coup d'œil au prompteur qui affiche : - [GÉNÉRIQUE] -- [DISCOURS] - Signifiant qu’il allait devoir improviser le report d’infos le plus important de la décennie. Son pied qui jusque là faisait office de charleston dans l'ambiance sonore du studio se fige, Becca s’écrit : « C’est parti ! »

« Américaines, Américains bonsoir — Je suis Gareth Bauer à New York et je remplace ce soir Harris pour Nightly News. Plus tôt dans la journée, un groupe de forces spéciales a mené une opération qui nous libère ce soir d’un fardeau immense, un poids qui depuis plus de 9 ans pèse sur la conscience de millions d’américains qui le onze septembre deux mille un ont perdu un frère, une soeur, un amis ou un collègue. Dans quelques instants le président va annoncer depuis l’aile droite de la maison blanche le succès de l’opération qui a mené à l’élimination de Osama Ben Laden. Alors ce soir, nous pouvons nous recueillir encore une fois et rendre hommage aux deux milles neuf cents soixante dix sept disparus de cette tragédie qui a changé le monde et l’Amérique a jamais. Mesdames, messieurs le président des Etats-Unis. » Bauer recule son siège tandis que la régie bascule sur la prise de parole d’Obama et dans un soupir de soulagement, il mate la “control room” où l’approbation générale règne.

 
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Vertigo

Le Bronx, 16 décembre 2022

12h15

Garry se réveille tôt aujourd’hui, par rapport à d’habitude en tous cas, depuis qu’il est devenu la vedette du prime-time de la NBC et qu’il a arrêté la matinale. A côté de lui, une figure féminine bien trop jolie pour être gratuite et sur la table de chevet son portable hurle, il décroche, à l’autre bout du fil, Rebecca est furieuse: « Putain ! Ils vont me tuer avec leurs conneries, pas possible de faire une émission sans se mettre tout le foutu monde à dos !
- C’est quoi le problème ? Répond le golden boy d’un ton grinçant.
- Le blem ? Ben sait pas tenir sa langue, il part en roue libre dès la première occasion et ce matin, bordel de merde ça a pas loupé, y’ fait chier ! *Continue de jurer* »
Elle éructe encore que Bauer a déjà fouillé YouTube. Pas besoin de chercher loin : la page d'accueil est saturée de la gueule de Ben Collins attenant au milliardaire controversé Musk, les titres sont flatteurs : “Elon Musk Humilié par Collins après le licenciement des salariés de Twitter”, “Il l’a renvoyé en Afrique du sud”, “Ce milliardaire est pris au piège par un journaliste”. Alors pourquoi elle s'énerve ?
Se dit Gareth qui depuis maintenant plus de 10 ans a tellement le nez dans la shnouf qu’il sent plus la merde quand elle est là. « Et c’est quoi le problème du coup ? Rétorque-t-il bêtement.
- Alors je sais pas si t’es au courant mais le mec qui remplit ton chèque annuel de deux putain de millions il est financé par les mêmes connards que Ben s’acharne a dépecer comme des lapins, d’un coup, et par l’anus ! » Le juif se décompose. Si c'était un film, y’aurait un zoom bien crade sur sa gueule façon Hitchcock. Il revoit la vidéo, mais cette fois, plus comme un spectateur hilare. Il voit Ben, le sourire carnassier, la punchline qui tape, le public qui exulte… et lui, tout ce qu’il entend, c’est le bruit des portes qui se referment sur la carrière de son pote. Alors aussitôt, il bouscule la péripatéticienne qui pionçait encore et lui dit de se casser, enfile ses chaussettes, fout un coup de stick désodorisant sous ses aisselles et se farde d’un costard qui coûte le prix d’une voiture.
« J’suis là dans vingt minutes ! » s’écrit-t-il en claquant la porte de son loft.


12h25

Dans son VTC, Bauer bouillonne, comment il va le sortir de la merde cette fois ? Pour le contexte, Ben Collins n'a pas tellement les bonnes grâces des propriétaires de la boîte et Gareth qui lui est plutôt bien vu l’a plus d’une fois tirer des emmerdes qui lui montaient au cou. Mais là, lui qui n’avait plus de doutes depuis dix ans s’en voit assailli. Impossible de se calmer, son cerveau fuse à deux cents, sans pour autant l’aider d’un poil de couille. Il va rester comme ça, désemparé pendant les huit minutes et treize secondes restantes de son trajet et au fur et à mesure que le prix grimpe sur le taximètre, ses espoirs s’effritent. Coup de frein à main, le chauffeur se retourne et gueuse son fric, Gareth Bauer paye le manant et s’empresse de quitter l'habitacle, fonce dans les locaux de la NBC, prend l'ascenseur et grimpe au deuxième pour retrouver sa PE.


12h34

Quand il dit quelque chose, il le fait, exactement dix neuf minutes après avoir claqué la porte de son appart, Garry enfonce celle du bureau de Rebecca, il lorgne les présents et aperçoit son ami : « Enfoiré ! Lance-t-il comme un javelot.
- Tu l'aurais pas fait ? Qu’il rétorque, imperméable à son insulte.
- Bien sûr que si, mais punaise t’es pas moi, ils peuvent pas me virer ! Toi, toi je sais pas comment t’es encore là sans déconner — Long interrompt la tirade mégalo et rechigne:
- Gareth, j’espère que t’as pas mis ton plus beau costard pour venir faire de la magie, parce que là, c’est un cadavre que tu viens enterrer, pas un mec que tu vas sauver. » Les deux présentateurs se muent tandis qu’elle reprend: « Allez les puceaux, on monte ! » Ici, quand on dit qu’on monte c’est quasi-jamais une bonne nouvelle, Les proprios sont pas exactement les plus grands fans de l’édito centro-liberal de la chaîne et des présentateurs qui hésitent pas à tirer dans les pattes des puissants avec qui ils boivent des mimosas le dimanche. Mais ils la ferment, enfin, ils tolèrent, du moment que ça reste un jeu de posture. Flinguer les puissants en direct, ça amuse tant que ça ne mord pas la main qui les nourrit. Mais là, ça pue, et quand l’odeur atteint leurs costards sur-mesure, ils arrêtent de détourner le regard.


12h45

Et c’est reparti, de nouveau dans ce foutu bureau, de nouveau pour lui sauver les miches, les mêmes pontes qui dix ans auparavant lui avaient fait confiance dans le bureau enfumé du deuxième étage, vont cette fois enterrer une bonne fois pour toutes la carrière de son ami. La porte s’ouvre et les trois concernés sont éblouis d’une lumière divine, alléluia, les voilà les grands patrons de la National Broadcasting Company, disposés comme sur un set de figurines en quinconce derrière le long bureau Herman Miller qui cadre la scène. « Ils ont l’air affamés. Ironise Beck.
- Ouais la coke creuse. » marmonne Ben. Bauer grimace coupable du pareil-vice et reste muet. Un des vieux cons lève son cul de son fauteuil et les invite à rentrer d’un signe de paluche peu daignant, Ben suivi de Gareth et Rebecca pénètrent dans la tanière, conscient d’être la pitance de ce midi. « Bon, on va faire rapide parce qu’il est bientôt une heure et que je n'ai toujours pas mangé. Lance le président du groupe en matant sa Patek.
- Collins, la raison pour laquelle on vous a convoqué ne doit pas vous échapper. Réplique son adjacent.
- En effet, vous avez bien aimé, c’est ça ? J’ai un bonus ? »
Pendant que son meilleur ami se tire balle après balle dans le pied au calibre 12., Gareth gamberge, il cherche un moyen, une excuse, une porte de sortie pour Ben qui risque de la prendre dans quelques instants s’il fait rien. Mais il ferme sa gueule, assommé, le crâne encore en feu du combo mortel whisky/coke de la veille. Il questionne tout, le grand huit de ses pensées déraille. Rebecca qui voit son “anchor” dans les vapes rétorque: « Il faut comprendre la démarche messieurs, monsieur Collins est depuis des mois sur cette affaire de rachat, il s’est placé comme opposant depuis le début, ce matin était simplement la résultante d’une accumulation de ras-le-bol des conneries d’Elon Musk.
- On comprend, madame Long, je vous assure, malgré tout, là les bornes ont été dépassées, les membres du conseil d’administration ont décidé de mettre fin au contrat de monsieur Collins avec effet immédiat. Pendant que Ben se fait aligner, Gareth dérive lentement vers la baie vitrée. Il regarde la ville en contrebas, sentant le vertige lui tordre les tripes, comme si un fil invisible le tirait vers le vide.
- Sur ce. Cloue le troisième patron en indiquant la sortie du doigt. Ben ricane et se casse en râlant, suivi de Rebecca qui se tourne pour voir Gareth fixé comme un poteau.
- Garry, allons-y. Dit-elle, anormalement calmement alors que Bauer déboulonne ses pieds du plancher et sort, fermant la porte derrière lui.​
 
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