Chroniques Prologue New York, 1er mai 2011 21h45 Bauer range son portable et descend à toute vitesse les escaliers de la station de King’s bridge, lève le pif un instant pour constater les autres ahuris présents à quai, une mère avec ses gosses hyperactifs les gronde en marmonnant du créole louisianais, le “bum” typique toujours au même coin d'escalier fait la manche depuis la guerre de sécession (au moins), puis les cas soc’ du genre de Garry sont assez nombreux aussi, tous attendent la rame de la la ligne 6 qui mène à la ville. Tous pour des raisons différentes, Gareth lui a reçu un sms de la production, le président va s’exprimer dans quelques heures, on sait pas encore pourquoi mais c’est important. Alors qu’il se glisse entre les portes de la rame pour aller aux locaux il s’imagine toutes sortes de théories sur le sujet de la prise de parole, un désastre diplomatique, encore un autre journaliste pris en otage ou bien l'énième échec d’une mission clandestine, se dit le jeune présentateur carrément pessimiste. Il pose son cul sur un siège colle sa joue a la vitre, il voit le reflet de sa gueule en premier plan tandis que la rame avance dans le noir et que son cerveau continue de bouillonner. Ca fait maintenant quelques mois que Gareth Bauer est passé présentateur de la matinale d’info de la NBC “Today”, sa belle gueule l’a bien aidé, après être sorti de son école de journalisme il est directement rentré dans la maison en 2006 grâce à un oncle qui était à Vassar avec Phil Griffin, le directeur de la MSNBC. D’abord assistant de production junior puis 3 ans plus tard producteur senior avant de récemment se faire repérer comme la belle gueule pas trop conne et éloquente, parfait pour remplir le siège de la matinale. Un bruit strident interrompt ses pensées vagabondes et Garry qui végétait contre la vitre se lève en sursaut en se figurant qu’il était arrivé à Rockefeller Center Station, il emporte avec lui sa sacoche d’épaule en skaï toute pourrie et avance d’un pas qu’à moitié éveillé vers la sortie. Le hall d'entrée du Comcast building est anormalement bondé pour un dimanche aussi tard, il grimpe au deuxième pour aller à la salle de news du “Nightly”, quand il y rentre : Une fourmilière, tous les producteurs et journaliste en forme une effervescence générale et se démènent pour grappiller l’info et être les premiers à annoncer la nouvelle. Un stagiaire chope Bauer dans ce cafarnahomme et le traîne dans le bureau de Rebecca Long, la productrice exécutive de Nightly News, a peine un pied posé dans le bureau elle le regarde et dit : « On pense que c’est Ben Laden ». 22h05 Le Bureau de Beck’ est enfumé, les pontes de la chaîne sont tous entassés la clope au bec et il fait bien trop froid sur le balcon pour s’y aventurer, Garry lorgne tous les gaillards un à un et finit par rejoindre Long dans le coin de la pièce : “Où est Tom ?“ dit-il interpellé par son absence. — Tom Harris c’était “l’anchor” de Nightly News et le deuxième présentateur le plus regardé d’amérique, le genre Republicano-Démocrate tu sais pas trop de quel côté il penche, les dents blanchies, la calvitie qui tire vers le Maine et au discours accommodant et sans parti-pris (littéralement). — «Il est pas là, j’ai essayé de l'appeler mille trois cents fois depuis tout à l’heure mais il est injoignable. - Comment vous allez faire ? - Aucune idée, il va bien falloir le remplacer s' il sort pas de l'ombre. - Fout moi-y ! - Toi ?» Rebecca fronce les sourcils un instant puis reprend: Fais un tour sur toi-même. Bauer s'exécute sans se poser de questions, Rebecca c’était une femme du genre misandre, trash, elle a pas peur de te dire un truc si ça va pas et elle frôle souvent le harcèlement sexuel avec les stagiaires, donc jusque là elle était fidèle à elle-même. « Je vais voir ce que je peux faire.» 23h18 Assis sur le fauteuil en cuir du plateau et le crâne chauffé par les quarante milles lumens des spots K35, Gareth Bauer s'apprête à parler à l'Amérique toute entière, il se frotte les jambes et gigote, emplit d’un cocktail d’adrénaline et de nicotine. En face, Rebecca gesticule de grands signes, Garry comprend qu’il doit enfiler son oreillette et s'exécute, « Deux minutes ! » Le présentateur reste muet et hoche simplement la tête, pétrifié. Il se lève alors et disparaît aux toilettes et s'enfile une dose de courage en poudre, lève la tête et se regarde un instant dans le reflet du mur-miroir avant de retourner a poste. Dans l’oreillette : « trente cinq secondes ! » Bauer tapote sa fiche nerveusement, il jette un coup d'œil au prompteur qui affiche : - [GÉNÉRIQUE] -- [DISCOURS] - Signifiant qu’il allait devoir improviser le report d’infos le plus important de la décennie. Son pied qui jusque là faisait office de charleston dans l'ambiance sonore du studio se fige, Becca s’écrit : « C’est parti ! » « Américaines, Américains bonsoir — Je suis Gareth Bauer à New York et je remplace ce soir Harris pour Nightly News. Plus tôt dans la journée, un groupe de forces spéciales a mené une opération qui nous libère ce soir d’un fardeau immense, un poids qui depuis plus de 9 ans pèse sur la conscience de millions d’américains qui le onze septembre deux mille un ont perdu un frère, une soeur, un amis ou un collègue. Dans quelques instants le président va annoncer depuis l’aile droite de la maison blanche le succès de l’opération qui a mené à l’élimination de Osama Ben Laden. Alors ce soir, nous pouvons nous recueillir encore une fois et rendre hommage aux deux milles neuf cents soixante dix sept disparus de cette tragédie qui a changé le monde et l’Amérique a jamais. Mesdames, messieurs le président des Etats-Unis. » Bauer recule son siège tandis que la régie bascule sur la prise de parole d’Obama et dans un soupir de soulagement, il mate la “control room” où l’approbation générale règne. |
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